Gaël Darras, Ilhem Ellouze, Bastien Faudon, Aurélien Finance, Juliette Jouannais, Arthur Lambert, Isabelle Vorle
Pour la première exposition de l’année 2024, la Galerie Robet Dantec a réuni sept artistes autour de la question de l’abstraction. Comment, en effet, parler aujourd’hui d’art abstrait quand cette dénomination nous renvoie au XXe siècle ? L’art abstrait semble pourtant, parmi la jeune génération d’artistes, faire son grand retour, au même titre que la peinture figurative qui connaît depuis quelques années une réappropriation des codes des grands maîtres classiques. L’exposition présentée à la galerie Robet Dantec présente ainsi des travaux d’artistes, essentiellement sur papier, symptomatiques d’une volonté de se saisir de l’abstraction au XXIe siècle, en la réinventant. Certaines œuvres relèvent de l’art concret, d’autres sont foncièrement lyriques. Les couleurs, les lignes, les matières jouent les codes de l’abstraction à travers
différentes techniques : aquarelle, tempéra, acrylique, impression textile, voire volume. Parfois même apparaît une forme que l’on croit identifier, une paréidolie…
Gaël Darras
Vit et travaille à Escamps
À partir du motif de la brique, unité inlassablement répétée, Gaël Darras construit à l’aquarelle des espaces architecturés au style minimaliste. Ses bâtiments, désinvestis de toute fonctionnalité, sont dénués de contextualisation spatiale et de marqueur temporel précis – ils nous portent vers une antiquité lointaine autant qu’ils évoquent nos maçonneries contemporaines. Ils flottent dans la blancheur matricielle du papier dont des pans sont laissés vierges, tels des volumes virtuels, des mirages. Ces constructions ne s’habitent pas, ne se pénètrent pas. Ils montrent autant qu’ils dissimulent, poussent le regard à chercher au-delà. Leurs frontières nous renvoient à notre intimité, tels des « temples intérieurs » dont la porte d’entrée est gardée secrète.
Ilhem Ellouze
Vit et travaille à Ronchamp
La démarche d’Ilhem Ellouze a pour point de départ les traditions artistiques de sa culture arabo-musulmane tout en intégrant l’esprit de l’art contemporain occidental. La répétition et l’accumulation de ses « modules » ne remplissent pas une fonction décorative mais recherchent l’efficacité du concept : la représentation de l’individu au sein de la foule humaine. Pictural ou sculptural, son travail se présente comme une accumulation de signes qui saturent l’espace. Les modules qui se répètent sont eux-mêmes des archétypes : ils symbolisent en la simplifiant et la schématisant la forme humaine, ils renvoient à l’Homme.
Bastien Faudon
Vit et travaille à Avignon
Bastien Faudon entretient avec le dessin qu’il utilise comme médium de prédilection, une relation singulière et multiple. Dessins de chercheurs
scientifiques, dessins préparatoires, cartographies destinées au voyage ou à l’exploration prennent part à des dispositifs qui questionnent la nature même des documents et le statut du dessin dans l’espace d’exposition […]. En s’inspirant de la construction des documentaires animaliers qu’il détourne, il fait coexister science et art pour questionner la relation que nous entretenons à l’environnement, passant sans cesse de l’infiniment grand à l’infiniment petit et interroge ainsi la place de l’homme et sa représentation.
Aurélien Finance
Vit et travaille à Mulhouse
Théâtralisé, le travail d’Aurélien Finance se construit autour d’histoires absurdes inventées, inspirées du réel, des mythes ou des contes. Qu’il s’agisse de performances dans lesquelles il se met en scène, ou bien de créations aux formes colorées, ses œuvres détournent l’univers textile par la déconstruction des codes traditionnels. Il pratique des savoir-faire ancestraux pour en expérimenter les limites dans une approche ludique empreinte d’humour et de poésie. La broderie, le crochet, le tricot l’intéresse pour leur aspect performatif, répétitif et cathartique. Ces créations deviennent alors des objets transitionnels desquels naissent
des personnages imaginaires, des êtres organiques, des excroissances rescapées d’une mémoire oubliée… Sa dyslexique (désorientation de l’écriture ordonnée) s’affiche dans son travail comme un atout. Elle ouvre une pensée par l’image qui trouve son sens dans sa globalité.
Juliette Jouannais
Vit et travaille à Paris
Juliette Jouannais sculpte la couleur. C’est ainsi que le journaliste et critique d’art Harry Bellet titrait son article paru dans Le Monde en 2020, à l’occasion de l’exposition personnelle de l’artiste à la Fondation Fernet Branca (Saint-Louis). Et en effet, les papiers délicatement découpés en dentelle, épinglés en volutes sur le mur ou sur le fond du cadre, se font oublier au profit de la couleur qui contamine par réflexion les surfaces blanches. La mise en forme est une opération si délicate que l’artiste ne laisse personne le faire à sa place. « Allant du plan au volume, ses reliefs serpentent dans un mouvement gracile où le trait se marie à la forme et au plan pour faire surgir un ressenti du monde qui en serait l’éblouissement à la lumière de la vision. » (Philippe Cyroulnik, critique d’art).
Arthur Lambert
Vit et travaille à Landerneau
Arthur Lambert met en lumière des états transformés de la nature et de l’être. Dans une incessante quête qui convoque tour à tour la pensée et la matière, il invite chacun à un voyage fantastique au sein de son language codé et secret. Peintre ayant collaboré avec l’artiste écossais Richard Wright (Prix Turner 2009), il reporte progressivement son attention sur l’aquarelle et sur la disparition/dissolution de la figure humaine. De la peinture, il en retient le goût pour la couleur, la vibration des lignes et des formes, faisant intervenir de plus en plus la dimension abstraite et optique de ses oeuvres. L’usage du papier lui permet d’affirmer la matérialité du dessin en permutant, de temps en temps, les différentes techniques et supports : gouache, feuille d’or, peinture sur photographie, papier japonais.
Isabelle Vorle
Vit et travaille en région parisienne
Dans ses dessins à l’aquarelle et à l’encre, Isabelle Vorle expérimente comme le ferait une chercheuse de laboratoire. Elle dispose la flaque sur le papier, ajoute ici et là la couleur, dosée au plus juste. Il lui arrive parfois de manipuler le papier, de le soulever pour donner forme au dessin liquide, dans un processus qui a plus à voir avec la recherche haptique que visuelle. Sa série des Agates a notamment été réalisée sur des feuilles de pierre, un papier sans fibre végétale, uniquement composé de poudre minérale. Extrêmement lisse, il permet au dessin à l’aquarelle de glisser et, une fois séché, évoque un voile de couleur traversé par la lumière. Isabelle Vorle réalise également des films expérimentaux. Son dernier film, « Stone Eve » (2020) a été primé dans de nombreux festivals internationaux.